Le ciel en peinture
Au moins quatre conceptions distinctes du ciel se retrouvent dans l’art
depuis l’antiquité :
- le ciel physique, visible, sensible (accessible par les sens) : celui
que nous voyons, qui forme le fond du paysage, traditionnellement bleu
par beau temps. Il peut prendre une dimension symbolique s'il est clair
ou s'il se couvre.
- le ciel spirituel, ou mystique, qui traduit les conceptions religieuses, baigné de lumière surcéleste, le plus souvent doré.
- le ciel scientifique, qui traduit les conceptions des astronomes et dont la représentation change en fonction des connaissances de l'époque
- le ciel allégorique, qui peuple l'espace céleste de personnages
fictifs, en général empruntés à la mythologie antique.
Ces quatre ciels (pluriel d'usage lorsqu'on évoque l'aspect technique de la peinture)
se distinguent bien dans la théorie. Dans la pratique, ils peuvent se
combiner, se recouvrir ou dépendre de la perception de chacun. Selon la
religion des artistes (et / ou du spectateur !), un ciel peuplé de
dieux peut être considéré comme spirituel (s'il y croit) ou allégorique
(s'il n'y croit pas). Un nuage prenant la forme de la Vierge sera
décrit par un chrétien zélé comme un ciel mystique, par un athée comme
un ciel allégorique, par un savant comme un ciel scientifique. Un
artiste peut tout naturellement utiliser une conception scientifique de
son époque (par exemple les sphères concentriques) pour traduire un
ciel mystique (Dieu siégeant dans la dernière sphère céleste)... Ces
fluctuations donnent sens à l'œuvre d'art.
1. Le ciel physique
1.1. La réalité physique
Depuis l’antiquité, on a constaté que le ciel était bleu. Selon le
phénomène de la « diffusion de Rayleigh » (John William Strutt
Rayleigh, 1842-1919), les particules de l’atmosphère diffusent surtout
les longueurs d’onde les plus courtes. La couleur du ciel est liée aux
rayons du soleil qui pénètrent l'atmosphère et sont diffusés en
fonction de leur longueur d’onde. Les ondes courtes (bleu) sont plus
largement diffusées, mais moins loin. Le matin et le soir, les ondes
longues (rouge) sont plus visibles. On représente donc le ciel bleu,
clair le jour (voir les peintures de Pompéi), foncé la nuit (voir le
mausolée de Galla Placidia)
Pompéi, Maison
de la petite fontaine
peinture murale, Ier s. P.C.N.
Ravenne, mausolée de Galla Placidia,
mosaïque, Ve s.
1.2. le symbolisme céleste
1.2.1. La sérénité : un idéal politique
Le moyen âge, la Renaissance, l’âge classique privilégient les ciels
sans nuages. En particulier durant les siècles classiques, les tableaux
historiques, allégoriques, les représentations du pouvoir... adoptent
un ciel pur, bleu intense, sans nuage, pour symboliser la clarté de la
raison. Les portraits royaux aiment les ciels sereins, symbolisant la
paix que les monarques assurent à leurs sujets. Pour Nietzsche, le ciel
sans nuage est celui de la raison, et correspond à l’art du XVIIIe
siècle, « un art ironique (...) divinement artificiel qui jaillit dans
un ciel sans nuage ». Les affiches politiques contemporaines ont conservé ce symbolisme.
Pierre Mignard, Louis XIV devant Maastricht, 1673. Turin, Galleria Sabauda.
1.2.2. Le ciel tourmenté : un dérèglement du monde
La présence de nuages présente souvent un sens symbolique, et traduit
un dérèglement du monde. L’exemple le plus fameux est l’assombrissement
du ciel à la mort du Christ, d’origine biblique (Mt 27, 45 : "À partir
de la sixième heure l'obscurité se fit sur toute la terre jusqu'à la
neuvième heure"). Elle permet de dramatiser l’action, par exemple dans le
Portement de croix de Bruegel : on voit que les nuages suivent la
progression du Christ vers le lieu de son supplice, s’assombrissant au-dessus du Golgotha.
Les nuages traduisent aussi le dérèglement du monde : on les trouve par
exemple dans le thème de la sorcellerie (voir Dürer). Les tempestaires, comme on les appelait (tempestarii)
étaient capables de déclencher des orages et de gâter ainsi les
moissons. Mais le dérèglement du temps traduit symboliquement le
dérèglement moral.
De manière positive, les nuages de la peinture baroque évoquent
l’obscurcissement de la pensée humaine, qui se dissipe au moment des
révélations (Annonciation…). Dans le grand art religieux baroque, les
nuages traduisent le mystère de la divinité. Ils envahissent la terre lorsque le divin y pénètre et
s’entrouvrent pour laisser passer les rayons divins.
Dans la peinture flamande des XVIe-XVIIe siècles, on porte de plus en
plus d’attention à l’apparence du ciel. Ainsi, Bruegel parvient-il à
varier presque à l'infini les ciels, lourds de pluie ou de neige, sans
qu'il faille chercher un sens symbolique à ces atmosphères finement
représentées. Le ciel finit par devenir un élément essentiel dans la
peinture flamande, dans des paysages où la ligne d’horizon est très
basse (voir les tableaux de Ruysdael) pour des raisons sans doute plus
pittoresques que symboliques. On peut cependant y voir la fusion des
éléments (eau, terre, air) dans une vision apaisée de la nature.
Pierre Bruegel l’Ancien, Portement de croix,
huile sur bois,1564, 124 x 170 cm,
Vienne, Kunsthistorisches Museum
Albrecht Dürer, La sorcière, burin, 1500-1501.
1.2.3. Le ciel tourmenté : les états de l’âme
Le XVIIIe siècle s’intéresse plus à la violence des éléments
correspondant aux passions fortes de l’âme (L’Orage de Fragonard,
les ruines d’Hubert Robert...) Les nuages pittoresques dramatisent alors le
sujet et évoquent les grands tourments à l’origine du sublime.
Les Recherches philosophiques sur l’origine des idées que nous avons du beau et du sublime
d’Edmund Burke (1765) contribuent à changer les mentalités
occidentales en liant le sentiment du sublime au terrible, à
l’épouvantable : « Tout ce qui est propre, de quelque façon que ce
soit, à exciter des idées de douleur & de danger, je veux dire tout
ce qui est, de quelque manière que ce soit, terrible, épouvantable, ce
qui ne roule que sur des objets terribles, ou ce qui agit de manière à
inspirer de la terreur, est une source de sublime ; c’est-à-dire, qu’il
en résulte la plus forte émotion que puisse éprouver l’esprit. » De là
va naître, à l’époque romantique et préromantique, un goût effréné pour
l’étrange, le grandiose, le surnaturel, le démesuré : éruptions
volcaniques, sorcellerie, violence, tempêtes... Le préromantisme
anglais (Turner) et allemand (Friedrich), puis le romantisme français vont utiliser les nuages, le vent,
la tempête, pour leurs analogies avec les passions fortes.
C’est le
romantisme, puis l’impressionnisme, qui exploitent le plus les effets
de nuages. Christine Kayser y voit un changement d’ordre
pictural, mais aussi un phénomène politique (« L’apparition des nuages accompagne
la disparition des pouvoirs divins, ou de droit divin, à la fin
du XVIIIe siècle ») et religieux (« la terre le dispute au ciel, de
même que l’homme revendique la maîtrise de son destin »). La peinture
du XIXe siècle est une peinture de la contingence, libérée par le nuage
de l’ancien ordre moral, politique, divin. Le ciel sans nuage traduit à
l’inverse le retour au calme. C’est le procédé encore utilisé par les
affiches électorales : depuis de Gaulle, jamais un nuage dans le ciel
bleu de la France.
Hubert Robert,
Jeunes filles dansant autour d’un obélisque,
1798, huile sur toile, 119,7 x 99 cm,
Montréal, Musée des Beaux-Arts
1.2.4. L’art de l’instant
Avec l’impressionnisme (et ses précurseurs, Boudin, Jongkind…), les
impressions fugaces, les phénomènes climatiques variables, sont
préférés à la conceptualisation et au symbolisme de la peinture
d’atelier. Ainsi chez Eugène Boudin, appelé « le roi des ciels » (Corot), « le Raphaël
des ciels » (Courbet)… La critique l'a remarqué à l'époque : « Si vous avez
eu quelquefois le loisir de faire connaissance avec ces beautés
météorologiques, vous pouvez vérifier par mémoire l'exactitude des
observations de M. Boudin. La légende cachée avec la main, vous
devineriez la saison, l'heure et le vent » (Baudelaire, Curiosités Esthétiques Salon de 1859. VIII. « Le Paysage »). Il est vrai que Baudelaire était particulièrement sensible à ce sujet : comment ne pas évoquer les Petits poèmes en prose
? « Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? - J'aime les
nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux
nuages » (« L’étranger », 1869). Cette conception corespond à un
changement important dans la pratique : le chevalet est de plus en plus
posé à l’extérieur, ce qui modifie le rapport à la lumière.
Eugène Boudin, Nuages blancs, ciel bleu, 1854-1859, pastel sur papier, 14,8 x 21 cm, Honfleur musée Boudin.
1.2.5. L'envol vers l’éternité…
Le
ciel peut bien entendu porter bien d'autres symbolismes, selon les
époques et selon les artistes. En transition entre le ciel sensible,
tel qu'on le voit, et tous ceux que l'on ne représente que par une
perception de l'esprit, Michelangelo Pistoletto nous rappelle que les étoiles qui apparaissent à notre vue ne sont qu'une image disparue depuis des milliers
d’années…
« Les grandes catastrophes sont de petits points ternes sur la toile,
de petits incidents. Les présences disparues sont restées là devant nos
yeux, transportés au rythme lent des siècles. Et nous nous y regardons
dans le miroir du temps, qui est notre autoportrait d’étoiles »
(Michelangelo Pistoletto, « Poetica dura », in : Michelangelo
Pistoletto. Quarta Generazione, catalogue d’exposition, Turin, Galerie
Giorgio Persano, 1985). De même que, par la fenêtre d’un train, les objets
proches défilent très vite et les objets lointains lentement, mais sont
plus ternes que les objets proches, l’art exprime cette morbidité de
l’immobilité que la distance spatiale ou temporelle fait échapper aux
transformations.
Michelangelo Pistoletto, Autoritratto di stelle
(Autoportrait d’étoiles),
1973-1975, silhouette sur plexiglas,
photographique télescopique (champ stellaire).
Cittadellarte-Fondazione
Pistoletto, Biella, Italie.
2. Le ciel mystique
Dans
bien des traditions antiques, comme dans la tradition biblique,
derrière ce ciel visible se cache un ciel invisible à l'œil nu, baigné
d'une lumière pure, surcéleste, où résident les dieux, les saints, les
héros... Cette croyance résulte d'anciennens conceptions d'un ciel "à
étages" qui remontent au moins à la Genèse. On distingue au
moins un "ciel corporel" et un "ciel incorporel" où siège Dieu. Ces
deux étages sontbien distincts dans la Nativité de Beccafumi à Sienne :
le
ciel nuageux qui apparaît sur terre s'oppose au ciel doré dans lequel
les anges forment de leur bras un anneau mystique autour de la colombe
de l'Esprit.
Domenico di Pace, dit Beccafumi, Nativité, vers 1523-1524. Sienne, église San Martino.
La
lumière
surcéleste est essentiellement la lumière dorée. Elle justifient les
fonds dorés qui baignent les scènes religieuses dans
l’art byzantin et italien. Le ciel mystique ne s’oppose donc pas au
ciel visible. Il est tout simplement caché par le firmament, le
"couvercle" solide ("ferme") du ciel physique, et apparaît lors des
révélations : dans l’art médiéval, à la fin des temps, le ciel sera
roulé comme un parchemin (expression issue de l’Apocalypse, 6, 14 : "Le
ciel se retira comme un livre qu'on enroule"), et le ciel mystique
apparaîtra : le thème se trouve déjà dans l'église de Müstair (vers
800)
et ne revient en Occident qu'au milieu du XIIIe siècle, en Italie, sous
influence byzantine (une des plus célèbres représentations est dans le
Jugement dernier de Giotto à la chapelle des Scrovegni à Padoue). Dans
l’art baroque, la trouée entre les nuages permet aussi le passage des
rayons de lumière surcéleste.
Giotto da Bondone,
Jugement dernier, ca. 1303-1306, Padoue, chapelle des Scrovegni
Dans la pensée mystique, le paradis est conçu comme une lumière pure et non comme lieu matériel
: dans la Passion de sainte Perpétue (IIIe s.), la sainte est emportée par des anges
dont les mains ne la touchent pas vers une lumière éclatante après
le premier cercle du monde. C’est le ciel dans lequel évoluent Dieu et
les saints, la lumière surcéleste que l’homme ne peut voir. Elle est évoquée dans une vision célèbre, celle de l'Empyrée de
Jérôme Bosch.
Les rayons de lumière divine traversant les nuages pour illuminer la
terre apparaissent fréquemment dans l'art de la Renaissance et l'art
baroque (Beccafumi, Nativité,
1523-1524, Sienne, église San Martino ; Le Bernin, Extase de sainte Thérèse d’Avila, marbre, 1652, Rome, église Santa Maria della Vittoria, chapelle Cornaro...).
Jérôme Bosch, Visions de l’au-delà, l’Empyrée. Venise, Palazzo Ducale
(1500-1504).
La même époque utilise volontiers les coupoles pour
rendre le vertige de l’infinité céleste. La fresque réalisée par le
Corrège en 1535 pour la cathédrale de Parme est considérée comme la
naissance de l’art baroque. Elle inspirera nombre de coupoles
d’églises, souvent plus tardives. Au niveau de la Terre sont représentés les apôtres et, sur les murs, des éphèbes
brûlent de l’encens. Autour de la vierge, on traverse un cercle d’anges, puis de
bienheureux, à commencer par ceux de l’Ancien Testament (Adam et Eve,
David, Judith...). L'homme change sa vision du monde et découvre "le
silence éternel de ces espaces infinis" pour reprendre la formule de
Pascal. L'art traduit l'angoisse ou l'extase, selon les cas, de l'homme
qui se découvre mnuscule au sein d'un univers sans limites.
Le Corrège,
Assomption
de la Vierge, fresque, coupole de la cathédrale de Parme
(1526-1530)
3. Le ciel scientifique
« Chaque révolution conceptuelle portant sur les représentations
scientifiques de l’espace, du temps et de la matière, finit tôt ou tard
par être intégrée dans l’imaginaire des artistes » (Jean-Pierre
Luminet, « Espaces parallèles en sciences et dans les arts visuels »,
conférence, 1995). L’art médiéval représentait le ciel selon les
conceptions que s'en faisaient alors les scientifiques (ex. : l’Ascension de Giotto, la création de
Menabuoi).
Ce
ciel scientifique correspond à la vision abstraite que l’on a du ciel
en fonction des
connaissances de l’époque. Dans tous les cas, jusqu'au XVIe siècle,
elle repose sur la distinction de plusieurs niveaux dans le ciel. C'est
à la fois un héritage de la pensée antique et une conviction
religieuse. Dans la Genèse,
le « firmament », le « couvercle » du monde que Dieu a créé pour
séparer les eaux d'en haut des eaux d'en bas, permet de distinguer deux
étages dans le ciel. Le mot hébreu utilisé pour nommer ce firmament (râqi'a) vient d'une racine hébraïque (râqo'a) qui signifie «
battre », « étendre » : c'est un corps solide que Dieu bat
comme une plaque de métal, soudé à la terre pour que les eaux ne la
noient pas. Le mot latin firmamentum, de la même famille que firmus (solide, ferme) rend bien la même idée. On en fit peu à peu un voile tendu pour retenir les eaux
célestes, ou ces eaux gelées, et on sépara ce ciel matériel d'un ciel
incorporel où siégeait Dieu.
En liaison avec l’évolution des connaissances scientifiques, la
tradition rabbinique multiplie ces étages jusqu'à dix... On a surtout retenu la
vision du pseudo-Hénoch, qui compte sept cieux, Dieu résidant dans le septième (2 Hén. 20, 1) — d'où
l'expression "être au septième ciel", jouir d'une extase égale à la vision béatifique !
On peut dès lors réunir la vision théologique et la vision scientifique
d’un monde sphérique, composé de sphères concentriques autour de la
terre, comme les pelures d’un oignon. En voici un exemple issu d'un manuscrit "scientifique" : l'Image du monde de Gossouin de Metz, et un exemple artistique, une fresque de Menabuoi représentant la création du monde.
Gossouin de Metz,
Image du
Monde,
Tours, BM, ms. 947 (vers 1360), fol. 66 r°.
Giusto de Menabuoi,
fresque du baptistère de la cathédrale de Padoue, vers 1376
Sur ces exemples, on peut distinguer successivement :
a) les quatre sphères sublunaires, celles des éléments : la terre est
au centre, l’eau à sa surface, l’air l’entoure, et le
feu entoure l’air. En effet, chaque élément a tendance à retourner vers
son « lieu » : la terre et l’eau tombent, l’air et le feu s’élèvent. La
terre tombe dans l’eau, le feu s’élève dans l’air...
b) les sept sphères planétaires.. A l'œil nu, il y a sept corps errants
dans le ciel, alors que les étoiles semblent fixes. Ce sont la lune, le
soleil, et cinq astres (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne) : on
les appelle « planètes » (du grec planêtês, errant). Cette théorie a
engendré celle des sphères célestes, concentriques, sur lesquelles les
astres sont censés tourner autour de la terre, puisque leurs mouvements
sont indépendants.
c) les sphères supérieures. Il y a donc un huitième cercle pour les
étoiles fixes, identifié au firmament. Il faudrait à un homme 7157, 5
jours pour atteindre le firmament en marchant 25 milles par jour. Adam
n'y serait pas encore arrivé. En 1245, quand Gossouin de Metz écrit son
Image du monde, il lui
resterait 713 ans à marcher, ce qui nous amène à 1958 ! Bon, avec les
nécessaires approximations de la chronologie, cela correspond à deux
mois près au lancement de Spoutnik, premier satellite artificiel...
Ce huitième cercle compte 1022
étoiles, pour Gossouin de Metz (qui se réfère à l'Almageste de Ptolémée),
mais on le représente le plus souvent par un groupe privilégié depuis
l’antiquité mésopotamienne : les douze constellations du zodiaque, bien représentées sur la fresque de Menabuoi.
Au-delà, il peut y avoir un neuvième ciel, dit cristallin, qui contient
les « eaux d’en haut » de la Genèse, et qui explique la couleur du ciel
visible (bleu) ; un dixième, le « premier mobile », qui met en mouvement les
autres, et qui assure l’immobilité à l’Empyrée. Ces deux ciels ne sont pas représentés ici. Au-delà s’étend
l’Empyrée, ciel de Dieu, dont le nom signifie « en feu » (grec pyr).
Séjour théorique des dieux dans l’antiquité, il est rarement mentionné
comme tel, les dieux préférant siéger sur l'Olympe ; il est très
employé à partir du Xe siècle. L'Empyrée
est pourpre, couleur de feu - le moyen âge
ciel préfère une étymologie approximative : c'est le « ciel impérial » où siège l'empereur du monde, Dieu...
Le Scivias, qui
raconte les visions d'Hildegarde de Bingen, recense neuf cieux sous
l'Empyrée et les fait correspondre aux neuf ordres des hiérarchies
célestes
: les séraphins siègent dans la 9e sphère, les chérubins dans la 8e,
les trônes avec Saturne, les
Dominations avec Jupiter, les principautés avec Mars, les Puissances avec le
Soleil, les Vertus avec Vénus, les archanges avec Mercure, les anges avec la
lune.
C’est à partir
de ces sphères concentriques que l’on imagine (dès la Grèce antique) la
sphère armillaire, qui enseigne les mouvements des astres. Certaines
portent les anneaux des planètes, d'autres les zones parallèles
traversées par le Zodiaque. Ces dernières sont devenues le
symbole de l’astronomie dans les arts libéraux. Cet
emblème est adopté dans d'autres contextes plus politiques : c'est
celui, par exemple, du roi
portugais Manuel Ier,
protecteur des sciences... d’où sa présence sur le drapeau royal du
Brésil ! Aujourd'hui, le Brésil a opté pour un ciel étoilé hérité du
vieux symbole, mais qui ne fait plus référence à un roi du Portugal !
Sphère armillaire marine, 2nde moitié du XXe s. (coll. part.)
Emblème de Manuel Ier à l'université d'Evora (Portugal), porte manuéline,
Drapeau du royaume du Brésil (1816-1824)
Drapeau du Brésil (2009) avec ses26 états fédérés
Les conceptions scientifiques influencent bien sûr les artistes à toutes les
époques. Dès
que l'on adopte une conception héliocentrique de notre système
planétaire, plus question de représenter la terre au centre de
l'univers ! Un plafond de l'abbaye de Füßen (Bavière) tente ainsi de combiner astucieusement l'ancien et le nouveau système. Quant à la célèbre Nuit étoilée de Van Gogh, ce n'est pas une fantaisie d'artiste ni une vision du ciel réel, mais un souvenir de lecture astronomique ! Jean-Pierre Luminet a pu déterminer
par une reconstitution astronomique du ciel la date de la composition
du tableau, le 25 mai 1889 à 4h 40 au dessus de Saint-Rémy de Provence.
Il a montré que la galaxie spirale peinte par Van Gogh n’était pas
visible à l’œil nu, mais qu’il s’est inspiré inconsciemment des images
parues dans les revues scientifiques de l’époque : il était abonné à la
Revue d’astronomie populaire.
Van Gogh, Nuit étoilée, 1889, huile sur toile, 73 x
92, New York, Museum of Modern Art.
4. Le ciel mythologique
Depuis
l’antiquité, le ciel est la demeure des dieux supérieurs et les
cartes du ciel les y représentent (zodiaque, constellations,
planètes…). Au moyen âge, ces dieux sont conservés sous forme d’allégories.
C'est fréquemment le cas pour le Soleil et la Lune, systématiquement
représentés depuis l'époque carolingienne autour des crucifixions.
Certes, il y a une allusion au passage des évangiles où le soleil se
voile à la mort du Christ, mais l'exploitation artistique utilise bel
et bien des références aux dieux païens, qui se retirent sur leur char
céleste (ex.
: Plat de reliure des péricopes de Henri II, IXe s.). L’époque
classique utilise largement les dieux antiques sur les fresques des
plafonds.
Comment retenir facilement l'ordre des planètes dans la
tradition classique ? Il fut se rappeler que les jours
de la semaine ont été nommés par les planètes qui leur sont consacrées
: on peut donc retrouver celles-ci selon un schéma un peu particulier,
correspondant aux
intersections d'une étoile à sept branches sur une circonférence. Dans
la pratique, il suffit de compter un jour sur deux !
Lundi : la lune
Mercredi : Mercure
Vendredi: Vénus
Dimanche (cf. Sunday) : le soleil
Mardi : Mars
Jeudi : Jupiter
Samedi (cf. Saturday) : Saturne
Bien sûr, d'autres allégories célestes se retrouvent dans l'art :
- la plus fréquente est le Zodiaque avec ses douze constellations
- les globes célestes illustrés, dont les célèbres globes de Coronelli, appartiennent à cette tradition
- une démarche équivalente se retrouve dans des allégories populaires : l’heure du berger (p. ex. : gravure de Granville pour Les étoiles de
Méry, Paris, Gonet, 1849), l'étoile du matin, l'étoile polaire de Mucha...
- ciel mystique ou ciel mythologique ? Des apparitions de la Vierge dans
la forme de certains nuages ou dans un rayonnement inhabituel
continuent à peupler le ciel de personnages empruntés à la fable ou à
la religion, selon ses convictions. Depuis l'apparition à
Zeitoun en 1968 ou à Seattle en 2007, le ciel continue à accueillir
celle qui est désignée comme sa "Reine".
Bibliographie
Bertola, Francesco, Imago Mundi, Bruxelles : La Renaissance du Livre, 1996
Kayser, Christine , « Du ciel classique au ciel impressionniste
», dans Peindre le ciel, Paris : L'Inventaire, 1995, p. 84-86.
Jean-Pierre Luminet, Illuminations : Cosmos et esthétique, Paris : Odile Jacob, 2011.